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miércoles, 29 de mayo de 2013

LATINVM AD LATRINAM (XII): ICI LA FRANCE

[Como este pasaje no pequeño me ha sugerido un rollo aún mayor, dejo aquél mondo y lirondo y más tarde subiré éste,  por si a alguien le interesa, quizá únicamente a algún compañero de promoción]

            Parece que el latín de hojalata se adueñó pronto del liceo francés, ahogando incluso intentos de mejorar la situación:

            Le régime de l’École Alsacienne amendait celui du lycée; mais ces améliorations, pour sages qu’elles fussent, tournaient à mon désavantage. Ainsi l’on m’avait appris à réciter à peu près décemment les vers, ce à quoi déjà m’invitait un goût naturel; tandis qu’au lycée (du moins celui de Montpellier) l’usage était de réciter indifféremment vers ou prose d’une voix blanche, le plus vite possible et sur un ton qui enlevât au texte, je ne dis pas seulement tout attrait, mais tout sens même, de sorte que plus rien n’en emeurait qui motivât le mal qu’on s’était donné pour l’apprendre. Rien n’était plus affreux, ni plus baroque; on avait beau connaître le texte, on n’en reconnaissait plus rien; on doutait si l’on entendait du français. Quand mon tour vint de réciter (je voudrais me rappeler quoi), je sentis aussitôt que, malgré le meilleur vouloir, je ne pourrais me plier à leur mode, et qu’elle me répugnait trop. Je récitai donc comme j’eusse récité chez nous.

            Au premier vers ce fut de la stupeur, cette sorte de stupeur que soulèvent les vrais scandales; puis elle fit place à un immense rire général. D’un bout à l’autre des gradins, du haut en bas de la salle, on se tordait; chaque élève riait comme il n’est pas souvent donné de rire en classe; on ne se moquait même plus; l’hilarité était irrésistible au point que M. Nadaud lui-même y cédait; du moins souriait-il, et les rires alors, s’autorisant de ce sourire, ne se retinrent plus. Le sourire du professeur était ma condamnation assurée; je ne sais pas où je pus trouver la constance de poursuivre jusqu’au bout du morceau que, Dieu merci, je possédais bien. Alors, à mon étonnement et à l’ahurissement de la classe, on entendit la voix très calme, auguste même, de M. Nadaud, qui criait encore après que les rires enfin s’étaient tus.

Gide, dix. (C’était la note la plus haute.) Cela vous fait rire, messieurs; eh bien, permettez-moi de vous le dire: c’est comme cela que vous devriez tous réciter. » J’étais perdu. Ce compliment, en m’opposant à mes camarades, eut pour résultat le plus clair de me les mettre tous à dos. On ne pardonne pas, entre condisciples, les faveurs subites, et M. Nadaud, s’il avait voulu m’accabler, ne s’y serait pas pris autrement. Ne suffisait-il pas déjà qu’ils me trouvassent poseur, et ma récitation ridicule? Ce qui achevait de me compromettre, c’est qu’on savait que je prenais avec M. Nadaud des leçons particulières. Et voici pourquoi j’en prenais:

Une des réformes de l’École Alsacienne portait sur l’enseignement du latin, qu’elle ne commençait qu’en sixième. De la sixième au baccalauréat ses élèves auraient le temps, prétendait-elle, de rejoindre ceux du lycée qui, dès la neuvième, ânonnaient: rosa, rosae. On partait plus tard, mais pour n’arriver pas moins tôt; les résultats l’avaient prouvé. Oui, mais moi qui prenais la course en écharpe, j’étais handicapé; malgré les fastidieuses répétitions de M. Nadaud je perdis vite tout espoir de rattraper jamais ceux qui déjà traduisaient Virgile. Je sombrai dans un désespoir affreux.

                                                                       ANDRÉ GIDE, Si  le grain ne meurt (1924)

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